mardi 3 avril 2012

La femme aux bas bleus


Voilà
A quelques jours d’intervalle un clown célèbre et un ancien Premier ministre s’étaient suicidés. Parfois René Mordèvre se demandait s’il ne serait pas plus raisonnable de quitter un pays où de tels événements pouvaient survenir. C’était une période confuse. Souvent le soir, il errait de troquets en bistros, acceptant, lui pourtant si timide, de converser avec des inconnus. Et parce que les jolies jambes d'une femme accoudée au bar avaient, depuis la rue, attiré son attention, il était à cette heure plus que tardive, venu s'échouer dans un boui-boui crasseux et enfumé que fréquentaient quelques habitués. Au bout d'un moment la femme aux bas bleus avait fini par s'apercevoir qu'il ne la quittait pas du regard. Elle lui avait alors souri — il lui manquait une canine — puis en titubant, était venue s'asseoir à sa table. Elle avait le charme d'une beauté en train de se fâner, le visage légèrement bouffi et l'œil un peu vitreux. Elle était quand même bien éméchée déjà. Durant une bonne heure tout en lui faisant du pied, elle n'avait cessé de se plaindre des vicissitudes de la vie moderne. Puis s'était mise à lui raconter la façon dont quelques-uns de ses amis avaient mouru. La vie c'est terrible, disait elle, on attrape une grippe et une nuit en se retournant dans son lit on tousse un peu trop fort et clac à peine le temps de sentir la douleur rupture d'anévrisme on se retrouve de l'autre côté à l'état de chose sans avoir eu le temps de se demander ce que l'on pourrait bien devenir. René Mordèvre opinait du chef, ne sachant que répondre. Il était préoccupé. Le dos de sa main gauche le démangeait depuis quelques jours et à force de grattages la peau s'y était peu à peu effilochée.  De grandes plaques blanches étaient apparues qu'il tentait de dissimuler à grand peine. Lorsqu'en minaudant, elle lui demanda tout à trac "Ton secret ne veux-tu pas me raconter ton secret, raconte-moi ton secret et je serai ton festin”, René Mordèvre répondit sèchement que festin ou pas, elle n'aurait pour lui jamais autant de goût qu'un de ces petits pâtés composés de pâte brisée farcie d'un hachis de mouton mariné avec des zestes d'orange et de citron dans de la cassonade, qu'il avait autrefois goûtés à Béziers. Puis il s'était brusquement levé. Stupéfaite, essayant de comprendre ce qu'il venait de dire, elle l'avait regardé, fouiller dans sa poche, pour y extraire un billet chiffonné, qu'il avait aussitôt jeté sur la table avant se sortir sans même lui adresser un regard. Elle resta un long moment, médusée, la lèvre molle fixant la porte d'un œil torve. "pauvre mec...tordu...espèce de pédé" grommela-t-elle tout en reniflant.

6 commentaires:

  1. Creo que la mujer necesitaba de compañía y algo de amor. La vida ha sido dura con ella.
    Que tengas una feliz semana.

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  2. what a strange bit of flash fiction (or is it fiction?)
    best, mae at maefood.blogspot.com

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  3. And the night was overflowing with emptiness. (That popped into my head while I was reading this)

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  4. I just learned a new French expression from your post! "boui-boui crasseux" Thank you for expanding my language skills!

    ;)

    And thanks for sharing with http://image-in-ing.blogspot.com/2023/05/spring-at-duke-gardens.html

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  5. That's one wild dream.

    Thank you for joining the Happy Tuesday Blog Hop.

    Have a fabulous Happy Tuesday. ☺

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  6. Sorry I don't know how to change it to English. I just stopped by to say "HELLO"! Have a nice day!

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