Voilà,
j’ai réalisé de semblables images parce que je ne sais pas jouer de musique, je ne sais pas composer, je n’ai pas d’instruments à la maison, rien qui m'aurait permis d’exprimer une sensation, une émotion sans pour autant avoir à l’expliquer.
Enfin c’est comme ça que je me formule à présent les choses.
Pour le moment.
Il est possible que je trouve d'autres explications. Plus tard.
Je le voudrais mais ne parviens pas à concevoir un récit, formuler mes pensées. Exprimer ce qui m'a traversé, me traverse encore. Les mots se dérobent. Ils ne me permettent pas de trouver la distance juste. Toute mon existence ils m’ont posé un problème, me laissant insatisfait. Je suis incapable d’exploiter toutes leurs nuances, de les agencer de façon satisfaisante pour qu'ils soient au plus proche de l'émotion, de la sensation. Par contre je crois pouvoir assez subtilement interpréter les mots des autres. Je suis comédien, interprète, c'est mon métier.
(...)
En d’autres temps pour surseoir à l’angoisse je composais des collages.
Fabriquer désormais ces vignettes me permet d'une certaine façon, d'être évasif. De suggérer sans être trop explicite. D'échapper à l'embarras des phrases, qui exigent d'être pesées au mot près.
Comme si j’écrivais une petite sonate, comme ces pièces pour piano de Chopin quand il était triste. À défaut de m’exprimer, je m’imprime. J’échappe à l’anecdote.
C’est aussi en quelque sorte l’équivalent d’une calligraphie japonaise réalisée au pinceau d’un seul geste. Oui, c’est un peu ça. Une calligraphie électronique. Ça signifie quelque chose de secret qui, à la fois ne peut se dire sans pour autant devoir se taire.
Un cri silencieux.
Je ne sais pas si je parviendrai un jour à coller des mots là-dessus. Sur cet effroi, sur ces moments de panique, certaines nuits de ce terrible mois d'Octobre. Sur la peur chaque jour, les mois qui ont suivi. Sur les apparences qu'il fallait préserver. Sur cette inquiétude qui jamais depuis ne me lâche.
(...)
Les heures où je l’accompagnais où je faisais semblant d’assurer, où je faisais même de l’humour. Où nous marchions en silence côte à côte. Où je faisais comme si tout ce que nous vivions était relativement maîtrisé. Nous faisions des selfies. Elle, coiffée de son bonnet, pour dissimuler son crâne. Je l’accompagnais chez l’acupuncteur, au laboratoire d’analyses médicales à l’hôpital là-bas de l’autre côté du fleuve.
Pourtant dans cette terrible adversité, nous avons eu de la chance.
La chance, j'ai cru en sa possibilité ce jour ou dans une salle d'attente de l'hôpital — venions nous pour une séance ? Était-ce au tout début je ne sais plus — une grande belle femme aux cheveux courts, est entrée avec son ami. J'ai tout de suite compris, à cause des cheveux, qu'il s'agissait du même genre de maladie. D'ailleurs que pouvait elle avoir eu d'autre pour venir dans ce service, dans cet hopital ? Maintenant je peux dire qu'elle devait en être à six mois après la fin du traitement. Cela devait être une visite de contrôle.
Elle discutait en anglais avec son ami. Il m'a semblé qu'elle était britannique. Elle avait un sourire radieux, tout son visage resplendissait de joie, et il émanait d'elle un puissante force vitale. J'ai alors pensé que oui, c'était possible une issue positive...
Je ne sais pas pourquoi je raconte cela maintenant.
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